Enfin, donner du sens au travail, c’est restaurer la dimension collective présentielle, malmenée par le travail à distance. Ce sont les sens au travail qu’il faut réhabiliter, c’est-à-dire de l’incarnation, de la corporéité, des affects, de la présence humaine, autrement dit une proximité perdue par la mise à distance du travail. L’émergence massive, parfois précipitée, du télétravail ces deux dernières années a certes permis de digitaliser un grand nombre de services, de diminuer certains coûts, de réduire sans doute l’empreinte écologique de l’activité et d’offrir des gains de temps (donc de productivité) importants.
Toutefois, le recul qu’on commence à avoir sur cette situation permet aussi d’affirmer que le télétravail a contribué à une nouvelle intensification du travail, notamment en éliminant les derniers temps morts qui pouvaient encore exister dans les organisations. Or, ces temps informels, interstitiels (donc invisibles à la prescription), rassemblant les pairs, sont essentiels pour faire un collectif en capacité de réélaborer les modes opératoires, créer des règles de métier et donc réguler les aléas. Implicitement, cela remet en question les conditions de la coopération, qui semble aujourd’hui à repenser.
Il s’agit d’une convivialité féconde, considérée sous l’angle de la délibération collective, informelle et pourtant vitale pour que « ça tourne ». Cette dernière joue un rôle déterminant pour effectuer tout le travail d’organisation (de régulation) non prescrit nécessaire à la réalisation d’un travail de qualité comme à la maitrise des risques, notamment par le développement des savoir-faire de prudence.
Cela ne peut se construire qu’en proximité, immergé et aux prises avec les interstices de l’activité réelle, en présence d’autrui. Plus encore, l’enjeu est de remettre sur le devant de la scène ce qui relève du registre de la sensibilité contiguë à toute activité, tout ce que les sens captent (y compris l’intuition, faite d’une sensibilité et d’une inventivité qui ont toute leur place dans le travail) et offrent pour « sentir » une situation de travail, en capter les informations non-verbales (on pense, par exemple, aux affects expressifs, repères majeurs dans les métiers de la relation à autrui comme le soin, le commerce ou l’enseignement… qui sont autant d’informations riches de significations).